GÉRARD FLEURY ALLÉGORIES DES ARTS LIBÉRAUX

GÉRARD FLEURY ALLÉGORIES DES ARTS LIBÉRAUX 35

LES ALLÉGORIES DES ARTS LIBÉRAUX

DE MARTIANUS CAPELLA (Ve SIÈCLE) JUSQU’AU XXe SIÈCLE

Avant-propos

Les arts libéraux constituent un programme d’enseignement qui a été plus ou moins suivi intégralement (certains arts ont été privilégiés selon les « écoles ») depuis l’antiquité (grecque ou romaine ? La question est toujours en débat) et comporte deux groupes de matières à partir du Moyen Âge, le Trivium (grammaire, dialectique, rhétorique), le Quadrivium (géométrie, arithmétique, astronomie, musique). Ces « arts » (ou « disciplines » d’enseignement) sont dits « libéraux » car réservés à l’origine aux hommes « libres » ou permettant de les « libérer », par opposition aux « arts » mécaniques qui avaient une utilité pratique, sensés réservés aux « esclaves », aux serviteurs, donc purement matériels1.

Sans doute beaucoup a été dit sur les représentations que je vais évoquer, et cette étude n’a rien d’exhaustif et n’a d’autre ambition que de rendre compte de mes recherches à partir de mes premières découvertes à Loches 2. C’est lors de la préparation du Congrès archéologique de Touraine du sud (1997) que je me suis intéressé principalement à la signification des sculptures du porche de l’église Saint-Ours de Loches. Je décris plus loin les réflexions que m’ont inspirées les personnages sculptés sur le cordon qui surmonte les voussures du portail intérieur, n’ayant à ma disposition à cette époque que très peu de matériaux de référence. Grâce à internet, les travaux et photos qui sont en rapport avec les arts libéraux sont consultables à profusion maintenant, ce qui explique que j’ai ressenti le besoin d’approfondir la genèse des illustrations de ces arts libéraux.

Le recensement complet n’est pas dans mes possibilités matérielles personnelles ni dans celles de cette étude3. Le style des différentes œuvres ne sera pas envisagé, sauf de manière allusive (gracieux, rébarbatif, maladroit, …). Les figures des manuscrits ne sont présentées ici que pour fournir une étape (essentielle) entre les descriptions littéraires et les interprétations en sculpture (l’essentiel de ce travail). Les œuvres peintes (sur murs, sur toile, sur verre) ne seront proposées que pour montrer que les allégories des arts libéraux ne sont pas abandonnées après le Moyen Âge, mais continuent de fasciner jusqu’au XXe siècle.

La source et les relais principaux dans la création

des allégories des arts libéraux

Martianus Capella4De Nuptiis Philologiae et Mercurii, Ve siècle

Cette œuvre littéraire et encyclopédique, qui est à l’origine de ces allégories, décrit dans son premier livre les noces de Mercure (l’Hermès grec, le Logos) et de Philologia5, accompagnés de sept demoiselles d’honneur qui sont les allégories des arts libéraux6. Le deuxième livre montre Philologia dans son ascension vers le niveau divin (qui n’est pas, chez Martianus, celui des chrétiens). Les sept autres livres proposent une synthèse sur chacun des sept arts au temps de Martianus Capella.

Les allégories sont décrites ainsi dans le premier livre :

Grammaire7 est revêtue de la paenula (manteau ordinaire des sénateurs romains), et porte à la main une trousse médicale pour guérir les vices du langage : encre, plumes, tablettes, limes à 8 traits (8 parties du discours « classique »), un martinet pour l’autorité et un scalpel pour opérer dents et langues.

Dialectique est une femme maigre, dont la chevelure est enroulée avec art, tombant en boucles sur ses épaules. Elle a dans la main gauche un serpent qui se cache à demi sous sa robe. Dans l’autre main elle tient une tablette de cire avec un hameçon. Sa chevelure évoque le syllogisme, le serpent la ruse des sophismes, l’hameçon les arguments captieux.

Rhétorique est revêtue d’une cuirasse, elle est belle, de taille avantageuse, sur sa poitrine brillent des pierres précieuses, son manteau est brodé de figures innombrables.

Géométrie a une robe admirable, image du ciel entier avec les astres en mouvement et les signes du gnomon8. Elle tient un compas dans la main droite, porte une sphère dans la main gauche. Devant elle se trouve une table couverte d’une couche de poussière verte pour y tracer des figures.

Arithmétique est une déesse grecque à la beauté parfaite, née en même temps que le monde. Un rayon s’échappe de son front, se dédouble, puis devient triple, quadruple, jusqu’à l’infini. Ses doigts agiles semblent compter rapidement, avec une incroyable aisance.

Astronomie jaillit d’un cercle de feu, avec une couronne d’étoiles sur ses cheveux et deux grandes ailes aux plumes de cristal. Elle tient une sorte de sextant qui jette des feux, et un livre fait d’un assemblage de plusieurs métaux.

Musique (ou Harmonie) est escortée de déesses, poètes, musiciens. Pourvue d’un instrument à cordes tendues sur un cercle et habillée d’une robe garnie de lames d’or qui bruissent avec un son mélodieux.

Martianus vu par Grégoire de Tours9VIe siècle

Grégoire fait référence à Martianus Capella, mais sans reprendre ses allégories, se contentant d’évoquer la partie encyclopédique :

Que si par hasard, ô évêque de Dieu, qui que tu sois, notre Martianus t’a initié aux sept arts, si donc il t’a appris à lire dans les grammaires, puis grâce à la dialectique à conduire les débats contradictoires, puis grâce à la rhétorique à reconnaître les différents genres de mètres, puis grâce à la géométrie à mesurer les surfaces et les lignes, puis grâce à l’astrologie à observer la marche des astres, puis grâce à l’arithmétique à connaître les fonctions des nombres, enfin grâce à l’harmonie à accompagner de mélodies sonores les doux accents des poèmes, si donc tu t’es assez exercé dans tous ces arts pour que notre style te paraisse grossier, n’efface pas cependant, je te supplie, ce que j’ai écrit.

On remarquera que Grégoire utilise les désignations : astrologie et harmonie.

Alain de Lille (XIIe siècle)

Alain de Lille10 met en scène d’une manière poétique les allégories des arts libéraux. Il n’est plus question du mariage de Mercure et de Philologia, cependant des attributs des allégories des sept arts sont décrits, ainsi que des « savants » antiques associés. La sagesse humaine (Prudentia) à la recherche de Dieu, requiert les allégories des sept arts pour construire son char capable de l’emporter vers l’infini. Ce qui affirme que les sept arts servent à découvrir Dieu.

Grammaire est présentée comme une matrone majestueuse à la poitrine plantureuse gonflée de lait qu’elle peut dispenser à qui lui demande le savoir. Douce et sévère, elle tient la férule et le scalpel. Elle travaille au timon du char y gravant le portrait des grammairiens : Donat11 et Aristarque12.

Dialectique a des yeux ardents, des cheveux déroulés sur les épaules, tient un scorpion. Elle forge l’essieu du char.

Rhétorique, visage animé, robe multicolore aux reflets chatoyants, sonne de la trompette et orne le char de revêtement d’or et d’argent. Sur le timon, elle sculpte des fleurs.

Arithmétique, resplendissante de beauté, tient la table de Pythagore, montre le combat entre les chiffres. Elle fabrique la première roue du char.

Musique tient une cithare (instrument à cordes frappées ou grattées) et fabrique la deuxième roue du char.

Géométrie porte une aune qui lui sert à mesurer le monde. Elle fabrique la troisième roue du char.

Astronomie, tête levée vers les astres, vêtue de sa tunique aux mille diamants, tient une sphère.

Je reproduis une illustration (rare à ma connaissance), du XVe siècle, qui s’inspire de la description d’Alain de Lille : le Quadrivium constitue le moteur des roues du chariot, tandis que le Trivium tire le timon grâce à trois cordes, Philologia est ici considérée comme Théologie (écrit explicitement) qui tient un portrait du Christ. On remarquera que les allégories des arts sont repérées par leurs noms mais n’ont pas d’attributs spécifiques. Le personnage de Pierre Lombard13, armé d’un fouet, active l’avance du char dans la bonne direction.

0-Manuscrit de l’Universitätsbibliothek de Salzburg, M III 36, XVe siècle. La Théologie emportée dans un char tiré par les allégories des sept arts et conduit par Pierre Lombard, armé d’un fouet.

Typologie des allégories

selon quelques manuscrits du Moyen Âge

Les illustrations des manuscrits ont certainement servi d’intermédiaires et ont créé une typologie variée des allégories des arts libéraux qui se démarque des descriptions littéraires de Martianus Capella et d’Alain de Lille (dont ils ont retenu certains attributs).

Illustrations de l’œuvre de Martianus, De Nuptiis Philologiae et Mercurii

Deux exemples, tirés l’un, des manuscrits de la Bibliothèque Nationale de France, l’autre, de la Bibliothèque Municipale d’Alençon.

 

  1. 2

Bibliothèque nationale de France, manuscrits latins 7900 A, Commentaire partiel des Noces

de Remi d’Auxerre, Xe siècle.

1- fol.151v. Astronomie montre des étoiles sur la voûte céleste.

2- fol 127v. Grammaire, munie de sa férule, face aux écoliers.

  

3 4 5

Alençon, Bibliothèque municipale, manuscrit 0635, début du XIIe siècle.

3– fol. 115v, Musique ?

4- fol. 130. Personnage tenant un instrument de mesure : Géométrie ?

5- fol. 174. Musique (d’après le catalogue du musée), ou plutôt arithmétique ?

Manuscrit latin 110, fol 60, Bibliothèque nationale de France

Ce dessin est publié par Éliane Vergnolle dans sa synthèse sur l’art roman en France14. Dialectique tient un serpent dans les mains, Grammaire un livre, Rhétorique un vase, Astronomie montre le ciel d’un doigt, Arithmétique tient un livre, Géométrie un bâton à extrémité végétale, Musique tient aussi un bâton. Elles sont identifiées par leur nom en latin, ce qui est une source appréciable d’identification pour les œuvres que je vais présenter. Manuscrit d’époque romane.

Hortus Déliciarum, composé au XIIe siècle par Herrade de Landsberg15

La planche 8 du recueil indique la primauté de Philosophie et des outils dont elle dispose, mais aussi pour chaque allégorie elle présente l’attribut associé. Tout étant écrit sur le dessin, mes explications vont se réduire à la description de chaque élément pour chaque figure.

 

6 7

6- Planche 8 du manuscrit dans sa totalité. En dehors du cercle, donc en dehors de l’influence de Philosophie et des arts libéraux, sont quatre « savants » mal conseillés, aux idées mauvaises suggérées sur le dessin par des oiseaux noirs.

7- Philosophie enseigne les arts selon des disciplines organisées en sept branches. Elle scrute les secrets des éléments et de toutes choses. Ce qu’elle découvre, elle le retient dans sa mémoire. Et elle met tout par écrit, en vue de le transmettre aux élèves. Socrate et Platon travaillent sous son autorité.

On lit dans l’anneau entourant la scène : « MOI, LA DIVINE PHILOSOPHIE, JE GOUVERNE TOUTES CHOSES AVEC SAGESSE ; JE DISPOSE PAR SEPT LES ARTS QUI ME SONT SUBORDONNÉS ».

  

8 9 10

Le Trivium.

8- Grammaire tient un livre et une férule.

9- Rhétorique (le « h » prend place après le « t ». Erreur du copiste ?) tient une tablette et un stylet.

10- Dialectique fait le geste de l’autorité en tendant le doigt de sa main droite, et tient une tête de chien (?) aux crocs sortis dans l’autre main (variante du scorpion et du lézard).

 

11 12

 

13 14

Le Quadrivium.

11- Musique joue de la harpe et est encadrée de deux autres instruments à cordes.

12- Arithmétique tient une corde sur laquelle sont fixées des boules formant graduation.

13- Géométrie tient un grand compas de la main droite et dans la gauche tient un étalon pour mesurer le Monde.

14- Astronomie montre les étoiles en les pointant de son index droit et elle tient un seau rempli d’eau ou un miroir.

Les représentations sculptées

Abbatiale de Déols (Indre)

L’abbé Dubouchat16 a décrit les voussures et le tympan de la porte nord de l’abbatiale de Déols avant qu’elle disparaisse. Témoignage précieux que l’on peut résumer dans un schéma que l’on doit à Patricia Duret17.

15- Schéma, d’après P. Duret, des voussures du portail de la chapelle nord de l’abbatiale de Déols, milieu du XIIe siècle. On remarquera que les sciences ne sont pas partagées en deux groupes (le Trivium et le Quadrivium) et qu’une science supplémentaire vient compléter l’ensemble.

Jean Hubert18 précise que la deuxième voussure portait neuf petites statues personnifiant les sciences et les arts et que la description de l’abbé Dubouchat, que l’on voudrait moins brève, fixe les traits de chacune de ces statuettes.

Philosophie occupe le sommet de la voussure : « Elle déploie son manteau comme pour les embrasser toutes (les sciences) ». De la main droite elle présentait une banderole : « QU’À L’OREILLE, COMME UN LANGAGE SACRÉ, CHANTENT HARMONIEUSEMENT LES PHRASES, QUE PAR TOI L’ON S’INSTRUISE DES AUTRES CONNAISSANCES ET DES RÈGLES ». De l’autre main, elle tendait à Dialectique la légende suivante : « CE QUE BRIÈVEMENT TA SŒUR A ENSEIGNÉ, EXPOSE-LE MA FILLE ET QUE PAR TOI NOS DISCIPLES PUISSENT CONNAÎTRE NOS SOPHISMES ». (Relevés de l’abbé Dubouchat, en latin, traduction de Jean Hubert). À la description des autres représentations il ajoute : « Sur un point, les sculpteurs du Moyen Âge semblaient n’avoir point, du tout, suivi le traité des Sept Arts et l’on en pouvait tirer argument contre l’influence prétendue de Martianus Capella », ce à quoi on peut répondre que l’interprétation dans la pierre des descriptions littéraires était impossible. D’où la nécessité de créer des attributs les identifiant.

L’ensemble du portail nord, où se situent ces allégories et comprenant un tympan représentant le Christ entouré des quatre animaux (symboles des évangélistes) dont une grande partie est visible au musée de l’abbaye, peut être daté du milieu du XIIe siècle.

Le porche de la collégiale Notre-Dame de Loches (le « narthex » de l’église Saint-Ours)19

À partir de considérations architecturales et des comparaisons avec les édifices du Gothique de l’Ouest, j’ai daté ce porche du milieu du XIIe siècle. Je n’avais pas en 1997, la documentation abondante que l’on peut avoir en 2020 par l’internet aussi je me suis appuyé principalement sur la publication d’Éliane Vergnolle (voir plus haut), sur les descriptions de Déols (par l’abbé Dubouchat et Jean Hubert) et sur les articles concernant les arts libéraux d’Émile Mâle et de Louis Réau, ainsi que sur les représentations des allégories au portail royal de Chartes (voir le sujet suivant).

Émile Mâle20 propose une synthèse des sujets qu’il a vus : Dialectique est drapée dans un manteau et tient un serpent à moitié caché sous sa robe, Grammaire porte un étui d’ivoire et une trousse de « médecin des vices » du langage, Rhétorique est une vierge armée belle et grande, Astronomie est couronnée d’étoiles et porte un instrument coudé ou un disque sillonné d’un trait brisé, elle lève la tête vers le ciel, Arithmétique d’une beauté grandiose porte une boule d’abaque ou porte la table de Pythagore, Géométrie est vêtue d’une merveilleuse robe, porte un compas et une sphère, ou tient une verge graduée ou bien un étalon pour mesurer le Monde, Musique tient un grand bouclier en or tendu de cordes sonores ou joue de la cithare.

Louis Réau21 décrit ce qui est connu à l’époque : Dialectique aux cheveux bouclés est associée à un serpent, un scorpion ou un basilic (coq serpent), Grammaire brandit une férule ou des verges, Rhétorique tient une tablette et un stylet, Astronomie tient un astrolabe ou un instrument coudé ou encore montre une étoile, Arithmétique tient un abaque ou un boulier, Géométrie écarte les branches d’un compas, Musique frappe avec un marteau les clochettes d’un « tintinabulum », ou joue de l’orgue portatif ou encore du violon, Philosophie a la tête dans les nuages et présente une échelle allant de pi (π, la pratique) jusqu’à téta (θ, la théorie).

Grâce à ces renseignements très divers j’ai pu identifier les allégories des arts libéraux en considérant la totalité de la voussure-cordon qui surligne l’ensemble des voussures du portail intérieur du porche d’entrée de la collégiale de Loches. L’identification n’a pas été aisée surtout dans l’état actuel des statues en demi-ronde bosse. Rien n’est très clair et c’est bien pour cela que jusqu’en 1997on les a pris, après un coup d’œil trop rapide, pour des vierges sages ou pour des bienheureux…

La preuve ne peut s’acquérir qu’en considérant qu’il y a un ensemble montrant suffisamment d’indices concordants. Certains attributs n’ont été discernés que grâce à la lumière rasante ou à la jumelle sous de multiples angles.

D’autre part trois claveaux ont été bûchés qui, je le pense, ne pouvaient représenter des arts libéraux mais sans doute des disciplines plus techniques. Deux autres claveaux ne concernent pas les arts libéraux mais sont connexes : un caducée manifestement pour la médecine ; un monstre à tête humaine et queue de serpent pour des recherches occultes ? Ces deux « sciences » ne sont qu’évoquées par Martianus22.

  

16a 16b 16c

16a- Ensemble du portail intérieur. La partie étudiée correspond au cordon, en partie supérieure des voussures.

16b et 16c- Deux claveaux de sujets connexes aux arts libéraux : caducée et magus.

Astronomie montre de la main droite deux étoiles figurées par deux petites roues à rayons. Mais elle aurait pu être confondue avec sainte Catherine dont l’emblème est une roue.

Musique tient une petite harpe, c’est pour cela qu’elle a parfois été prise pour une vierge folle.

Géométrie tient un grand compas, que l’on ne perçoit qu’en lumière rasante, par deux directions qui ne sont pas parallèles aux plis de la robe.

L’identification d’Arithmétique est fondée par le livre qu’elle tient à la main. Ce qui est une preuve faible.

Dialectique est identifiée par le serpent qu’elle tient à deux mains. La queue du reptile pend sur sa droite. Entre ses mains, le corps est brisé. La tête du serpent semble appuyée sur sa poitrine.

Grammaire se découvre par la férule23 qu’elle applique des deux mains, comme une arme, sur l’épaule.

Rhétorique tient un vase dans sa main gauche, contenant peut-être à l’origine (de manière symbolique) des « fleurs de rhétorique ». Le claveau de la voussure immédiatement en dessous présente un vase du même type d’où émergent des fleurs (de rhétorique !) que deux oiseaux picorent.

L’identification de Philologia, sans doute la plus belle et la plus grande des jeunes filles représentées (qui sont parfois un peu sévères, comme Rhétorique), n’est possible que parce que Géométrie existe déjà sur un autre claveau, sinon elle aurait pu représenter Géométrie avec un bâton, étalon pour mesurer le Monde.

Nous avons donc un ensemble complet des allégories des sept arts libéraux, cohérent avec les représentations dont les attributs sont plus explicites. Ce qui a pour conséquence vraisemblable que le chapitre de Loches entretenait une école, où l’on sait d’ailleurs qu’Abélard vint étudier avec le chanoine Roscelin, nominaliste, « probablement de 1094 à 1099 » (dont on possède une correspondance, avec Pierre Abélard, qui devint très inamicale au fil du temps).

On peut remarquer que seuls ces sujets non religieux ont été préservés lors du martellement de toutes les têtes sculptées des sujets religieux, sans doute à la Révolution.

   

17a 17b 17c 18

17- Les arts libéraux à la collégiale de Loches : le Trivium.

17a- Dialectique, qui tient un serpent dans ses mains.

17b- Rhétorique tient un vase dans sa main gauche.

17c- Grammaire tient des deux mains un instrument posé sur l’épaule droite que l’on peut assimiler à une férule.

18- Philologia est la plus belle statue de l’ensemble, le visage est remarquable.

   

19a 19b 19 c 19d

19- Les arts libéraux à la collégiale de Loches : le Quadrivium.

19a- Arithmétique porte un livre.

19b- Musique porte une petite harpe.

19c- Géométrie tient un compas.

19d- Astronomie montre deux étoiles.

Portail royal de Chartres, porte sud (vers 1160)

20- Portail sud de la façade ouest de la cathédrale de Chartres. La deuxième voussure sous le cordon fait apparaître six arts libéraux, la musique est placée au départ à droite sur la première.

    

  g 21. Chartres.

21a- Dialectique et son serpent (ou scorpion ?) dans la main gauche. Restaurée. En dessous, Aristote.

21b- Rhétorique, véhémente. En dessous, Cicéron.

21c- Grammaire avec sa férule, un livre ouvert dans la main gauche. Restaurée. En dessous, Donat.

21d- Arithmétique, avec tablette sur laquelle elle pose la main gauche. En dessous, Boèce.

21e- Musique, avec cithare sur les genoux, instrument à cordes du type viole accroché devant elle et jeu de clochettes sur lesquelles elle frappe avec un marteau. Restaurée. En dessous, Pythagore.

21f- Astronomie, montrant le ciel de la main droite. En dessous, Ptolémée.

21g- Géométrie avec compas dans la main droite. En dessous, Euclide.

Le programme sculpté concernant les arts libéraux prend place à la porte sud de la façade ouest, sur la dernière voussure, sous le cordon sommital, et sur la première en bas à droite pour la musique. Autant celui de Loches était peu clair, autant celui-ci est parfaitement lisible au premier regard, malgré quelques détails disparus (comme le compas de Géométrie) et des restaurations manifestes pour Dialectique, Musique et Grammaire.

Sont représentés juste en dessous des allégories, les « savants » associés, identifiés non par des inscriptions mais par des attitudes et leurs associations dans la littérature du Moyen Âge (d’autres identifications sont parfois avancées, mais je me tiendrai à celles qui sont le plus souvent proposées). Tous les personnages, allégories et savants sont assis, ce qui est une conception opposée à celle de Loches qui est moins fréquente.

Dialectique tient un monstre reptilien dont la tête, gueule ouverte, porte des dents acérées, et dont les pattes griffues s’agrippent sur son flanc droit et sur son épaule. La queue s’enroule sur son genou gauche. La main gauche tient un fleuron massif par l’intermédiaire de son voile. En dessous, un personnage écrit sur un pupitre muni d’un encrier. C’est une représentation d’Aristote24 qui n’était vu au Moyen Âge que comme un logicien.

Rhétorique fait un geste d’orateur, bras droit demi étendu et poing serré, bras droit étendu tenant un voile déplié pour exprimer sa véhémence. En dessous Cicéron25 tient un instrument (acoustique ?) de la main droite.

Grammaire brandit un faisceau de branches (férule, au sens propre) de la main gauche et un livre de la main droite. À ses genoux deux élèves tiennent des livres et celui qui est situé à droite courbe la tête, tandis que celui de gauche tend la main droite pour recevoir sa punition. En dessous Donat26 écrit sur une tablette.

Arithmétique compte de la main gauche sur une tablette. En dessous Boèce27 tient une bandelette des deux mains au-dessus d’une écritoire.

Musique tient une harpe sur ses genoux et frappe des clochettes avec un marteau, un instrument à corde est accroché à sa gauche. En dessous est figuré un savant associé, Pythagore28, accroupi, qui joue d’un instrument à cordes pincées. Astronomie montre le ciel d’un geste de la main droite. Sa main gauche tient peut-être un globe. En dessous Ptolémée29 pose les mains sur une écritoire, sans autre signe distinctif.

Géométrie trace sur le sol une ligne avec un compas tenu de la main droite. Il ne reste du compas qu’une trace sur le fond du claveau. Elle tient deux livres de la main gauche. En dessous, un personnage hautain pose son avant bras droit sur une écritoire et lève la main gauche (disparue !), c’est Euclide30.

Ces représentations sculptées constituent un des ensembles les plus complets sur les arts libéraux et en grande partie authentiques. Elles sont beaucoup plus explicites que celles de Loches. À Loches le contexte est marial, puisque la Vierge est représentée au-dessus, mais s’il s’agit d’un remploi31. À la place de Philologia qui n’apparaît pas comme à Loches (selon mon hypothèse), c’est la Vierge Marie placée au centre du tympan, qui est entourée par les allégories des arts libéraux et tient ainsi le rôle de Sagesse.

Là aussi, il y avait une école32, et beaucoup plus importante et réputée que celle de Loches. Dès le XIe siècle grâce à Fulbert. Puis au XIIe siècle avec Yves de Chartres, Bernard de Chartres (« Nous sommes des nains perchés sur les épaules de géants »), Gilbert de la Porrée, Thierry de Chartres (auteur de l’Heptateuque), Guillaume de Conches, Jean de Salisbury et Bernard Sylvestre.33

Cathédrale de Laon

La cathédrale de Laon propose deux représentations des arts libéraux, ce qui est relativement rare à ma connaissance, au vu ce qui existe encore. À la fenêtre gauche de la façade ouest (datée vers 1200) elles sont présentées sous forme de sculptures dans la seconde voussure (dans le sens de la courbure, et assises comme à Chartres). Et à la rose du transept nord (datée vers 1170-1180, mais restaurée en 1865) elles apparaissent sous forme de vitrail. Les deux représentations utilisent pratiquement la même gestuelle et les mêmes attributs, on peut donc se demander si elles ne dérivent pas d’un même dessin ou si l’une n’est pas la transcription de l’autre. D’autant plus que la vitrerie semble relever d’une recréation du XIXe siècle, dessin en symétrie des sculptures pour la dialectique et la musique, ce qui accentue le doute sur l’originalité des médaillons.

 22 23

22- Nord de la façade ouest de la cathédrale de Laon. Fenêtre haute.

Les arts sont représentés sur la seconde voussure.

23- Rose du transept nord (après la restauration de 1865)

Chaque allégorie est illustrée dans cette étude par le dessin du livre de Viollet-le-Duc34, la photographie du claveau, la photographie du médaillon vitré.

On trouve d’abord, si l’on suit la voussure sculptée dans le sens des aiguilles d’une montre, Sagesse ou Philosophie ou Théologie (ou Philologia dans la mesure où rien n’est précisé) : assise, la tête dans les nuages, avec une échelle appuyée sur son torse, tenant deux livres sur son bras droit. Dans la rose elle est au médaillon central35.

   24a- Philologia ! Ici, Philosophie.

   24b- Grammaire

   24c- Dialectique.

   24d- Rhétorique.

   24e- Arithmétique

   24f- Musique.

   24g- Astronomie

   24h- Géométrie.

24- Les arts libéraux à la cathédrale de Laon. (Dessins de Viollet-le-Duc).

Vient ensuite le Trivium. Grammaire est représentée avec un écolier (ou deux, sur le vitrail), sans férule (sauf peut-être sur le vitrail), l’air débonnaire. Dialectique lève les bras et pointe un doigt de la main droite, un serpent s’enroule autour de sa taille (qui ne se voit pas sur le vitrail). Rhétorique présente ses paumes ouvertes, alors que sur le vitrail elle présente un livre (mauvaise interprétation du XIXe siècle ?).

Le Quadrivium occupe le haut et la partie droite de la voussure. Arithmétique tient des groupes de boules dans ses deux mains. Musique frappe des clochettes. Astronomie présente un disque muni d’une zébrure horizontale : un miroir grossissant ? (ordinairement vu comme un sextant). Géométrie manipule un compas sur une tablette.

La voussure se termine en bas à droite par des représentations de l’architecture (qui écrit sur une tablette) et de la médecine (qui examine à la lumière un vase que l’on imagine en verre)36. La médecine est aussi représentée dans un médaillon vitré37.

Notre-Dame de Paris

Les arts libéraux prennent place au trumeau du portail du Jugement dernier, détruit en 1771, reconstitué au XIXe siècle sous l’inspiration de Viollet-le-Duc, et copiés manifestement sur les sculptures de Laon et de Sens. Les sculptures furent exécutées par Geoffroy-Dechaume, à qui l’on doit un moulage, représentant (si l’on voit bien) Astronomie montrant le ciel d’une baguette dans la main gauche. Il semble que ce médaillon soit de la deuxième moitié du XIIe siècle.

    

25- les représentations du XIXe siècle à la cathédrale de Paris : Philosophie, Géométrie, Grammaire et Musique. Et un moulage du XIXsiècle d’Astronomie (?) du Musée des Monuments français.

Cathédrale de Sens

Ces représentations prennent place au soubassement de l’embrasure gauche du portail central38. Les révolutionnaires les ayant probablement assimilées à des saints, leurs têtes ont été brisées, ainsi que la plupart de leurs attributs, aussi les identifications ne sont-elles pas certaines et je n’ai pas pu identifier les représentations en surplus. Car il y a douze cases, que j’ai numérotées de gauche à droite (je ne propose rien pour les cases 1 et 2, et pour les cases 4, 5, 6 il y a incertitude).

Les petits élèves (3), l’équerre, l’astrolabe (8), les lettres grecques (10), le tintinabulum et les dessins de Viollet-le-Duc39 permettent d’identifier Grammaire, Géométrie, Astronomie, Musique, Philosophie (qui possède des «Γ» au lieu des «π» au bas de sa robe et un «θ» sur son cou, sans présenter une échelle comme à Laon40), Rhétorique (12).

3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
Gram-maire Dialec-tique ? ? Dialec-tique ? Géo-métrie Astro-nomie Mu-sique Philo-sophie Arith-métique Rhéto-rique

26- Cathédrale de Sens, ensemble des sculptures représentant les arts libéraux et autres arts. Très dégradées.

3 8 8 10 10 12

     

27- Cathédrale de Sens. Détails : Grammaire, Astronomie, Philosophie, Rhétorique. (Dessins de Viollet-le-Duc).

La datation de l’ensemble du portail est de fin XIIsiècle-premier quart du XIIIe.

Cloître d’Autun et chapiteau de Vienne (St-André-le-Bas)

À Autun les deux piliers figurés qui étaient probablement dans le cloître de la cathédrale Saint-Nazaire d’Autun41 ont été déposés au musée Rollin42 de la même ville. Astronomie montre une étoile et Géométrie tient une équerre. Leurs noms sont gravés au-dessus de leurs têtes, ce qui fait qu’ici il n’y a aucun problème d’identification !

J’ai rapproché ces œuvres d’un chapiteau de Vienne car elles sont souvent comparées à cause d’une pièce de vêtement rare dans la sculpture romane, une « bande décorée » sur la cuisse43, ce qui permit à beaucoup d’historiens de l’art d’identifier les deux figures du chapiteau de Vienne avec Astronomie à gauche Géométrie à droite. De plus les quatre représentations sont coiffées d’un bonnet similaire à rabats très longs sur les oreilles.

On remarquera de plus que les deux allégories censées représenter Astronomie montrent une étoile grâce à une baguette et que cette étoile est en forme de fleur. Mais à Vienne, Géométrie tenait-elle vraiment une équerre dans sa main droite ?

 

27a- Cloître d’Autun. (1140-1170) 27b- Chapiteau de Saint-André-le-Bas (nef de l’abbatiale).

Ces deux œuvres essentiellement romanes peuvent être datées du milieu du XIIe siècle.

Chapiteau d’Elne, présenté au château de Villevêque

  

28- Cloître d’Elne. Colonnes déplacées en Anjou, au château de Villevêque.

À l’origine, le cloître de Villevêque ne fait pas partie du château. Les six colonnes doubles, classées Monuments historiques, sont en effet issues du cloître d’Elne dans les Pyrénées-Orientales (vraisemblablement de l’étage car le rez-de-chaussée est resté complet). C’est Auguste Durel, propriétaire du château de Villevêque (Maine-et-Loire) de 1961 à 1979 (date du rachat du château par Daniel Duclaux), qui en fait l’acquisition en 1960 et les a fait installer au château, le long de l’aile sud.

Les arts libéraux sont groupés sur un des chapiteaux et sont représentés par des hommes barbus pour Musique (harpe) et Géométrie (équerre). Le troisième personnage est sans doute un jeune homme, il présente un rouleau en partie déplié et semble parler : Rhétorique ?

On peut dater ce chapiteau de la fin du XIIe siècle ou de la première moitié du XIIIe.

Cathédrale de Sienne

Les allégories sont représentées sur la base de la colonne centrale de la chaire de la cathédrale de Sienne sculptée en 1265-1268 par Nicola Pisano (1220-1284) et son fils Giovanni (1245-1320). Cette base est octogonale et comporte un personnage par face. Il faut donc s’attendre à y voir figurer Philologia !

 

a b

29- Cathédrale de Sienne, chaire à prêcher.

29a- Philologia entourée de Rhétorique et Dialectique (?).

29b- Astronomie, Grammaire.

Les identifications sont délicates sauf pour Astronomie (qui montre un disque de la main gauche et Grammaire (qui enseigne à un écolier). Le personnage qui a la plus belle robe tenait un sceptre dans la main droite (l’empreinte est restée sur le bas de sa robe) et tient une corne d’abondance sur son bras gauche (je ne pense pas qu’il s’agisse d’un cor). Elle est peut-être entourée de Rhétorique sur sa droite (qui suit sur un livre posé sur ses genoux) et de Dialectique sur sa gauche qui semble douter en faisant la moue. Les autres n’ont pas d’attribut et leur tête nue ou couverte d’une coiffe ne saurait permettre de les identifier.

Cathédrale de Pise

Les allégories sont sculptées sur les huit panneaux de la base du pilier central de chaire sculptée entre 1302 et 1311 par Giovani Pisano (1248-1315). Les noms des allégories sont marqués sur le bandeau supérieur de la base octogonale du pilier central de la chairee qui permet d’être sûr des attributions, voire de compléter le corpus des attributs par d’autres moins classiques.

Rhétorique est curieusement munie d’un long stylet et parle avec un enfant. Grammaire allaite deux enfants qu’elle tient sur ses genoux, c’est la mère nourricière. Dialectique tient un serpent dans chacune de ses deux mains. Philosophie, couronnée, tient dans sa main droite un sceptre terminé par un fleuron (la partie supérieure est cassée) et un globe dans sa main gauche. Astronomie élève un astrolabe au niveau de son œil avec le bras gauche et montre du doigt un cahier posé sur son genou droit. Géométrie tourne un compas de la main droite tandis que la gauche maintient la pointe fixe. Arithmétique compte avec ses doigts. Musique, de la main gauche joue de la harpe, qui semble tenir toute seule contre son buste tandis que sa main droite est inerte, posée sur son genou droit.

   

a b

   

c

30- Cathédrale de Pise. Chaire à prêcher.

30a- Le Trivium. 30b- Philosophie. 30c- Le Quadrivium.

Cathédrale de Clermont

Les allégories, représentées jusque-là sous les traits de belles jeunes femmes, sont remplacées par les « savants » qui leur sont associés, représentés avec les attributs classiques. Cette façade nord du transept est datée du XIVe siècle. La mise en place est identique à celle d’une rose, comme à Laon.

Les « savants » représentés ont des visages allongés, chevelus et barbus. Ils sont couronnés. Le médaillon central est l’équivalent d’une allégorie de la géométrie (donc c’est une représentation d’Euclide44). Le personnage tient un livre ou une équerre brisée dans la main gauche et tenait un compas dans la main droite levée (on ne voit plus que le bas des branches). Le compas venait de participer à la construction de trois arcs architecturaux. Cette évocation de la géométrie est peut-être confondue avec l’architecture et le « savant » avec l’architecte du transept nord.

Tout en haut du grand cercle une figure qui tient un livre dans la main gauche et montre le ciel sous forme d’un nuage parsemé d’étoiles en spirales est une évocation de l’astronomie (il s’agit donc de Ptolémée). Elle est encadrée par une figuration de l’arithmétique (donc Boèce) qui manipule un boulier et de la musique (donc Pythagore) qui frappe deux cloches avec un marteau dans chaque main.

31- Cathédrale de Clermont. Façade nord du transept.

En bas on reconnaît une personnification la grammaire (donc Donat) à sa férule et l’élève (disparu, il n’en reste qu’une trace blanche). Elle est encadrée, à gauche, par une figure sous laquelle on peut reconnaître la rhétorique (donc Cicéron) qui converse avec un enfant et à droite par la dialectique (donc Aristote) qui, un livre ouvert sur ses genoux semble réfléchir en regardant le ciel.

Les arcs de petits cercles qui entourent chaque « savant » sont reliés par un visage féminin (les deux figures inférieures sont peu lisibles à cause de l’angle de prise de vue, mais existent bien) : a-t-on voulu ainsi rappeler, que les arts libéraux sont personnifiés par des jeunes filles dans l’expression poétique de Martianus ?

Cathédrale d’Auxerre

32a- Auxerre, portail sud de la façade ouest, de gauche à droite : Philologia, Grammaire, Dialectique, Rhétorique (panneau reconstitué à partir de deux clichés de la Base mémoire).

32b- Auxerre, portail sud de la façade ouest, de gauche à droite : Arithmétique, Géométrie, Musique, Astronomie.

Dans les ébrasements du portail sud de la façade ouest, au second registre du soubassement, deux panneaux montrent dans les écoinçons des arcatures huit personnages féminins. Les sculptures de ces huit jeunes femmes sont particulièrement séduisantes malgré la dégradation des surfaces et même de certains détails qui étaient importants et qui nous privent d’une identification sûre.

À droite, on observe d’abord la plus belle des jeunes filles, couronnée, c’est manifestement Philologia alias Philosophie ou Sagesse. Elle lève d’un geste gracieux le voile posé sur ses épaules, c’est bien l’épousée du mariage décrit par Martianus.

La sculpture suivante qui comme les autres jeunes filles a un voile sur la tête, est accompagnée de deux jeunes enfants, c’est Grammaire. Elle semble incliner la tête de bienveillance, on n’imagine pas qu’elle puisse tenir une férule dans sa main droite ! La suivante est ceinturée d’un serpent, c’est Dialectique. On peut penser que l’allégorie suivante est Rhétorique, les traces d’une éventuelle fleur dans sa main droite ne démentent pas ma proposition.

La suivante ne peut être qu’Arithmétique car les dernières ont des attributs assez visibles. Géométrie tient un grand compas de la main droite (trace en relief contre le gable, trace sur le pan de cape). Musique est associée à une barre où sont accrochées trois cloches. Enfin Astronomie porte son regard vers le ciel (sans pouvoir savoir ce qu’elle tient dans les mains).

C’est un ensemble particulièrement complet et gracieux dont le style accuse la seconde partie du XIIIe siècle (1260 est la date de construction de ce portail de droite de la façade ouest)45.

Il se trouve à Auxerre qu’un vitrail représente aussi les allégories des arts libéraux. C’est comme à Laon sous la forme d’une rose du chœur (partie supérieure de la baie 102).

Cette rose présente huit secteurs. Philosophie trône au sommet, puis dans le sens des aiguilles d’une montre : Géométrie avec son compas, Arithmétique (sa main est tendue mais que fait-elle ?), Astronomie regarde le ciel, Grammaire et son élève, Dialectique dont on ne distingue plus que son serpent, Rhétorique et son sceptre fleuri, Musique frappant des clochettes avec un marteau. Les noms écrits sur des bandeaux clairs ne sont pas toujours visibles (ou ont été refaits), ainsi que les personnages à cause des remontages aléatoires des morceaux de vitrail, et des parties altérées, noires. Tout comme à Laon, on peut douter de certaines parties, les vitraux ayant beaucoup souffert.

 

32c- Auxerre, rose de la baie 102 du chœur. À droite la baie 102 en totalité (baie de l’abside, immédiatement à droite de la baie centrale).

Les allégories de cette rose, si on peut vraiment apprécier le style des parties noircies (les seules que l’on peut juger authentiques), sont difficilement comparables à celles du programme sculpté en façade : ici elles sont assises alors qu’au portail ouest elles se tiennent debout et de face. Le chœur est daté de 1215-1230, avec montage des vitraux dans les décennies qui ont suivi46.

Cathédrale de Rouen.

Le portail du transept nord, dit le « portail des libraires », construit autour de 1300, possède un riche décor et en particulier des sculptures en faible relief sur les jambages des ébrasements et du trumeau. Sur ce dernier, quatre quadrilobes concernent les arts libéraux (qui ne sont pas les plus regardés ni les mieux conservés).

33- Rouen, cathédrale, trumeau du portail du transept nord (dit « des libraires »), de gauche à droite : Géométrie, Musique, Astronomie, Grammaire.

Dans le premier quadrilobe, un personnage assis montre un disque avec un compas (on croit habituellement le voir dans sa main droite), c’est Géométrie. Le second personnage est plus explicite puisqu’il frappe des clochettes accrochées à une barre, c’est Musique. Pour le troisième, c’est l’amas d’étoiles sur un nuage, dans le lobe gauche en hauteur, qui permet d’y voir Astronomie. Le quatrième présente une femme en train de fouetter un personnage nu, à genoux et implorant, c’est l’une des représentations les plus terribles de Grammaire.

Réduit à quatre ce groupe n’est pas homogène puisqu’il mélange le Quadrivium (il manque Arithmétique) et le Trivium (seule Grammaire y figure).

Semur-en-Auxois, église Notre-Dame

  

    

34- Semur-en-Auxois. Transept sud et bas-côté sud. De gauche à droite et de bas en haut : Grammaire, Dialectique, Rhétorique, Géométrie, Arithmétique, Musique, Astronomie.

Il est à ma connaissance unique de trouver les allégories à des clés de voûte. À Semur-en-Auxois, au transept sud et au bas-côté sud, sept clés présentent les allégories des arts libéraux identifiables par leurs attributs ou leurs attitudes47. Grammaire tient une férule de la main droite, elle fait suivre d’un doigt sur un livre ouvert sur ses genoux un jeune écolier assis devant elle. Dialectique marque d’un doigt qu’elle place sur sa main gauche les arguments de son raisonnement. Rhétorique tient un livre ouvert sur ses genoux. Géométrie tient un compas dans sa main droite et une équerre dans sa main gauche. Arithmétique tient des boules dans sa main droite. Musique frappe des clochettes avec un marteau. Astronomie présente un astrolabe.

On notera que les personnages qui tiennent le rôle des allégories, sont des hommes, peut être un moine pour Grammaire si l’on tient compte de sa chevelure. Cet ensemble est daté du XIIIe siècle.

Cluny, chapiteaux provenant de l’abbatiale.

Les chapiteaux du rond-point de la grande église de Cluny (Cluny 3) ont été remontés sur des colonnes dans le musée du Farinier. L’ordre est en grande partie arbitraire. Les deux seuls chapiteaux qui pourraient représenter sur leurs quatre faces des allégories des arts libéraux ne peuvent être que ceux qui correspondent aux numéros 4 et 5 (comptés à partir de la gauche).

Je présente ces chapiteaux pour mémoire car les historiens de l’art n’y voient pas tous les mêmes scènes et le débat est loin d’être clos4849.

À y chercher à tout prix ce qui fait l’objet de mon travail et sans la prétention d’être dans le vrai, j’aurais proposé : en C4c Didactique, en C4d Astronomie, en C4b Arithmétique, en C5d Géométrie, donc en C4a Musique ! Les identifications de Sébastien Biais restant acquises pour C5b et C5c (cf. la figure 35), quelle que soit la valeur de mes identifications hasardeuses mais qui établissent une homogénéité dans ce chœur dédié aux nombres 4 et 8 50.

La datation de ce rond-point (donc des chapiteaux) n’est pas mieux assurée : entre la fin du XIe siècle et le premier quart du XIIe.

  Chapiteau C4 a- la Justice ? (ou Musique ?) b- la Charité ? (ou Arithmétique ? )

 

C4 c- la Foi ou l’Espérance ? (ou Didactique ?) d- l’Espérance ou la Foi ? (ou Astronomie ?)

 

Chapiteau C5 a- La Sagesse ? b- Grammaire

 

Chapiteau C5 c- Rhétorique d- ? (ou Géométrie ?)

35- Chapiteaux C4 et C5 du musée du Farinier à Cluny. En dessous : des interprétations « classiques », (mais controversées) et entre parenthèses, mes propositions.

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Quelques peintures célèbres et un vitrail du XXe siècle

Peinture murale du Puy-en-Velay

36- Le Puy-en-Velay. Ancienne bibliothèque du Chapitre. Relevé L-J Yperman51.

   

37- Le Puy. Ancienne bibliothèque du chapitre. Dessins d’Arthur Martin 1874.

Les peintures de l’ancienne bibliothèque du Chapitre du Puy-en-Velay étaient, jusqu’au passage de Mérimée en 1850, cachées sous un épais badigeon. Ne figurent plus que quatre allégories et leurs savants associés, dont les noms sont écrits sur le haut du dossier de leurs fauteuils pour les jeunes femmes, et sur des phylactères aux pieds des savants. Grammaire lève les mains et Priscien52 (alors que c’est Donat qui est habituellement invoqué) suit sur un livre ouvert sur ses genoux. Dialectique (appelée ici Logique) tient un scorpion et un lézard dans ses mains et Aristote indique d’une main la paume de sa main gauche. Rhétorique tient une baguette dans sa main gauche et Cicéron lit un livre ouvert sur ses genoux. Musique présente un orgue portatif tandis que Tubal53 (au lieu de Pythagore) frappe une enclume avec deux marteaux.

Nous avons la chance d’avoir des dessins pris sur place par le Père Arthur Martin dans l’ouvrage du Père Charles Cahier54, ce qui a grandement facilité ma lecture.

Ces peintures sont habituellement datées du XVsiècle.

André Masson a émis des hypothèses solides sur l’existence en ce lieu d’autres allégories (dont celles des trois autres arts libéraux) ainsi que sur la décoration de ce type dans les bibliothèques55.

Une peinture murale célèbre de Botticelli

38- Botticelli, Fresque des arts libéraux, 1483-1486, Musée du Louvre.

« Lorenzo reçu par le cortège des Arts Libéraux ».

Une villa située à proximité de Florence, selon l’hypothèse la plus probable, a été dotée de peintures (à fresque) vers 1443-1486 par Botticelli pour le mariage du fils des propriétaires, Lorenzo Tornabuoni. Les deux fresques subsistantes de l’ensemble font aujourd’hui partie des collections du musée du Louvre (achetées en 1882).

Une des deux fresques, recollée sur un mur au Louvre, concerne les arts libéraux. Un jeune homme est présenté par une belle jeune femme à un groupe de sept jeunes filles dont certaines ont des attributs reconnaissables : Rhétorique avec un rouleau brun (dominant les autres), Dialectique avec un scorpion noir dans les mains (de face), Grammaire semble enseigner de la main gauche semi déployée (au centre), Géométrie a une équerre sur l’épaule (de dos, aux pieds de la rhétorique) :Astronomie, tient un sextant dans sa main gauche (au premier plan), la musique, un orgue portatif (de dos, robe orange). Arithmétique serait le personnage en arrière- plan tenant une feuille blanche. Je ne peux m’empêcher de penser que la belle jeune fille qui tient par la main le jeune marié est Philologia, la jeune mariée du roman de Martianus Capella. La scène serait donc une transposition du mariage du roman didactique en le mariage du fils Tonarbuoni. La jeune épousée serait ainsi glorifiée…

Un tableau de Marten-de-Vos.

39- Marten-de-Vos, « Allégorie des sept arts libéraux », 1590, collection privée.

Marten-de-Vos est né en 1532 à Anvers, où il meurt en 1603. Il use des attributs classiques des allégories des arts libéraux. À gauche, assises, Géométrie utilise un compas pour mesurer sur un globe terrestre, Arithmétique calcule sur une tablette, et debout Rhétorique discourt avec les mains, un oiseau juché sur sa tête (harmonie du langage ?). À droite on reconnaît Grammaire enseignant un enfant, Musique qui joue de la mandoline, Astronomie qui tend une baguette vers le ciel tout en appuyant sa main gauche sur un globe terrestre. La jeune femme qui tient dans la main gauche un rouleau et un sceptre dans la main droite ne pourrait donc être que Dialectique, mais il s’agit du sceptre d’Hermès Trismégiste (d’où le caducée) ! Elle serait plutôt une allégorie de la médecine. Je ne sais ce que viennent faire dans ce groupe les trois personnages masculins : ni celui, jeune, qui semble interpeller Astronomie ; ni celui qui est couronné de lauriers et soutenu par un ange avec tous deux des visages de vieillards.

Retour aux sources. Vitrail d’une « Université des arts libéraux »

Rollins College est un « collège d’arts libéraux » privé situé à Winter Park, en Floride56. Il a été fondé en 1885. Le vitrail de la chapelle construite en 1931-1932, est situé en façade, au-dessus du portail d’entrée. Ce vitrail illustre l’esprit dominant de cette université de luxe.

Les arts libéraux, sous la forme d’allégories, sont rangés, le trivium à la droite de Sagesse, le quadrivium à sa gauche. La scène relève d’un exposé didactique : les allégories ont leurs noms affichés et ont les attributs les plus classiques (sauf une, Dialectique).

Grammaire transporte une boîte où figurent des instruments pour le bien parler (directement inspiré de Martianus), Dialectique se contente de placer la main droite sur son cœur (sans aucun attribut), Rhétorique est représentée en guerrière (casque, cote de maille, épée et bouclier), Géométrie tient un compas, Musique joue de la harpe, Arithmétique présente un boulier, Astronomie tient une sphère céleste dans sa main gauche et a la tête dans les étoiles.

La figure dominante est Sagesse qui tient un flambeau pour éclairer le Monde et est accompagnée par la chouette, symbole de la sagesse d’Athéna (Minerve).

40- Vitrail de la Knowles Mémorial Chapel au Rollins College :

« SAGESSE VAUT MIEUX QUE FORCE »,

« ELLE A CONSTRUIT SA MAISON. ELLE A ÉRIGÉ SES SEPT PILIERS ».

Conclusion

Le grand vitrail du Rollins Collège clôt mon parcours personnel de quinze siècles de représentation des arts libéraux, d’abord littéraire et enfin en vitrail, en passant par la sculpture et la peinture.

Le roman didactique de Martianus Capella a fixé le partage entre les disciplines « littéraires » et les disciplines « scientifiques », ce classement étant très discutable pour notre époque, la didactique n’étant pas spécifiquement littéraire et la musique n’étant pas considérée comme une matière scientifique. Cette classification ne se fit pas de manière uniforme jusqu’au XIIsiècle, parfois les regroupements étaient différents. Par exemple dans la Bible de Saint Thierry, (Reims, BM ms 3 f.25), du premier quart du XIIe siècle, Philosophie domine Logique (qui comprend Rhétorique et Dialectique) et Physique (qui comprend le Quadrivium en entier), et tout autant Éthique :

41- Bible de Saint Thierry, Reims, BM ms 3 f.25.

Quoiqu’il en soit, c’est manifestement ce qui a été retenu pour les grands programmes sculptés des collégiales et cathédrales du Moyen Âge, ce qui est au cœur de notre travail, même si d’autres « arts » y sont associés comme la médecine (soit sous forme d’allégorie féminine, soit sous la forme d’un caducée), ou encore l’architecture (difficile alors à distinguer de la géométrie, qui peuvent avoir toutes deux comme attribut une équerre) et même les sciences occultes. Manifestement, que soit en sculpture ou en vitrerie, on peut considérer que c’est pour une école (réputée, souvent) que ces allégories apparaissent sur les façades des cathédrales du milieu du XIIe siècle au XVsiècle. Cluny est l’un des contre-exemples d’abbatiale magnifiant les arts libéraux (peut-être, de manière trompeuse, à cause de la faiblesse des identifications !), ainsi que la courte série que j’ai montrée : collégiale Notre-Dame de Loches (avec une école sans doute modeste), priorale de Semur-en-Auxois (sujets complets mais aux clés de voûte), cloîtres d’Elne et d’Autun, nef de l’ancienne abbatiale à Vienne (exemples d’allégories isolées, actuellement).

Je me suis restreint aux exemples que je connaissais ou qui étaient célèbres ou qui ont été publiés (parfois de manières multiples). Ils sont tous situés en France (actuelle) et en Italie (actuelle), ce qui ne signifie pas que de tels exemples n’existent pas dans d’autres pays européens. En particulier je n’ai pu présenter les sculptures de la façade de la cathédrale de Fribourg-en-Brisgau, mais la description par Viollet-le-Duc est intéressante : « Nous trouvons encore une série assez complète des arts libéraux figurés sous le porche de la cathédrale de Fribourg en Brisgau. Ici les noms des figures sont peints sous les pieds des statues. Cette collection est donc précieuse, en ce qu’elle peut, avec le manuscrit d’Herrade [de Landsberg], faciliter l’explication des figures sculptées ailleurs et qui ne sont accompagnées que d’attributs. Ainsi, à Fribourg, la Dialectique semble compter sur ses doigts [?], la Rhétorique tient un paquet de fleurs, la Médecine regarde à travers une bouteille [ne fait pas partie des arts libéraux !], la Philosophie foule un dragon sous ses pieds, elle est couronnée [ne serait-ce pas la Vierge ?]57. »

Pour le vitrail, j’ai pu constater qu’il y avait plusieurs exemples, en plus de ceux qui sont développés plus haut. Ainsi, la baie 103 du chœur de la cathédrale de Soissons qui est décrite ainsi pour les allégories58 :

Dans la partie inférieure de la verrière, les sept Arts libéraux sont représentés sous l’aspect de femmes assises, portant une longue robe ceinte à la taille, et un manteau agrafé sur l’épaule ou à la base du cou et dont un pan au moins revient sur les jambes. Un voile couvre leur chevelure. La Grammaire, de trois-quarts, tient une clef à la main droite (la clef de l’art du langage) et lit dans un livre ouvert dans lequel est inscrit l’alphabet. La Dialectique, de face, appuie son discours par les gestes de ses bras et de ses mains. La Rhétorique, de face mais la tête tournée vers la précédente, serre contre elle un livre et, du bras gauche, fait aussi un geste oratoire. La musique, de trois-quarts, frappe avec un petit marteau sur sept clochettes, correspondant sans doute aux sept notes de la gamme. L’Arithmétique, de profil, désigne du doigt une tablette sur laquelle sont inscrits douze chiffres romains. L’Astrologie, de face, porte et contemple un disque ou une sphère, dans laquelle il faut voir un astrolabe ou une sphère armillaire. La Géométrie, assise à une table, de face, trace des figures à l’aide d’un compas. »

[…] le nom latin est peint en réserve dans un bandeau : ASTROLOGIA, MVSICA, GRAMMATICA, DIALECTICA, RHETORICA, ARITHMETICA, GEOMETRIA. L’allégorie de la grammaire tient un livre ouvert, sur les pages duquel sont peintes à la grisaille les lettres de l’alphabet : A/BC/DE/FG/HI/KL/MN/OP/QR/ST. L’allégorie de l’arithmétique porte une tablette où des chiffres romains sont inscrits à la grisaille : I II / III IV / V VI / VII VIII / IX X / XI XII.

On signalera aussi la rose sud de la cathédrale de Lausanne, dont les allégories sont mentionnées plusieurs fois par allusions dans les études publiées que j’ai pu consulter. Mais la description générale, dans les travaux actuels, insiste sur le fait que les parties de vitrerie ont été interverties plusieurs fois et il n’y est plus question d’arts libéraux59.

On ne saurait passer sous silence la série des six tapisseries datées de la fin du XVe siècle ou du début du XVIe qui existent encore60. Arithmétique et Astronomie (Memorial Art Gallery, Rochester) : Arithmétique présente un tableau de chiffres, Astronomie montre le ciel, à leurs pieds sont deux savants comme au Puy. Géométrie (Museum of Freemasonry, Londres) : tient une équerre et un compas, le savant associé est à ses côtés mais en plus petit. Rhétorique (Musée des Arts Décoratifs, Paris) : nommée « Dame Rhétorique », elle tient un sceptre dans la main droite (surmonté d’une couronne royale) et une couronne (de baron) dans la main gauche, elle est entourée d’hommes qui semblent l’écouter. Arithmétique, (Musée National du Moyen Âge, Paris) : compte des jetons et montre un livre tenu par un assistant. Musique, (Museum of Fine Arts, Boston) : dirige un orchestre. Astronomie (Musée de Göteborg) : dans un paysage au ciel étoilé, face au savant associé et devant un parterre d’étudiants (ou de savants !) elle montre le ciel de la main droite. On remarquera que les noms sont écrits au-dessus des allégories et qu’elles sont représentées dans le contexte d’un groupe d’hommes debout dans une salle voire d’un paysage. D’après Pascale Charron ces morceaux isolés faisaient peut-être partie d’ensembles dont les autres éléments sont perdus. Ce qui est sûr, c’est qu’ils sont coupés de leurs lieux d’origine.

L’engouement pour la représentation imagée des arts libéraux semble s’atténuer après le XVIe siècle, même si au XIXe siècle on peint encore les allégories mais sans attribut comme un groupe de sept jeunes femmes, belles mais sans aucun détail permettant de les différencier, dans une chromolithographie intitulée : « Les sept arts libéraux auprès du lit de Boèce ».

42- Détail de la chromolithographie (collection particulière), XIXe siècle.

Les représentations, dont j’ai eu connaissance et qui ont échappé à la destruction des années, se sont conformées d’assez près à la création littéraire de Martianus Capella pour le nombre des « arts » et l’existence de Philologia, elles furent nécessairement adaptées pour le dessin, la sculpture et la peinture, en leur associant de manière variée des attributs (parfois nouveaux) pour les reconnaître quand le nom des allégories n’était pas explicitement inscrit. Parfois on a, par bonheur, à la fois le nom et des attributs.

Martianus avait déjà donné quelques attributs dans son encyclopédie didactique : Grammaire porte à la main une trousse médicale (que l’on retrouve sur le vitrail du Rollins Collège), Dialectique a dans la main gauche un serpent qui se cache à demi sous sa robe, Rhétorique est revêtue d’une cuirasse, Géométrie tient un compas dans la main droite et porte une sphère dans la main gauche, Arithmétique a des doigts agiles qui semblent compter rapidement, Astronomie tient une sorte de sextant, Musique est pourvue d’un instrument à cordes tendues sur un cercle.

Au gré des créations on voit apparaître d’autres attributs. Pour Grammaire avec des élèves à ses pieds et surtout une férule. Pour Dialectique un scorpion ou une tête de chien tenus eu main. Pour Rhétorique un bouclier, une épée, une fleur ou même un bouquet. Pour Géométrie une équerre. Pour Arithmétique un boulier ou une corde graduée ou de petites boules entre les mains. Pour Astronomie un disque sensé représenter un instrument de mesure d’angle ou un miroir (en forme de seau), ou un groupe d’étoiles (fleurs ou petites roues à rayons, ou petite fleur unique). Pour Musique toutes sortes de harpes, d’instruments à cordes frottées et de carillons de clochettes frappées d’un marteau.

Si on fait le bilan on voit que Martianus a bien été l’initiateur, peut-être l’unique source des représentations repérables des arts libéraux.

1 Une introduction substantielle peut-être fournie par le compte rendu : André Cantin, « Arts libéraux et philosophie au moyen âge », Actes du quatrième congrès international de Philosophie médiévale (Université de Montréal, 27 août-2 sept. 1967), Cahiers de civilisation médiévale, 15e année (n°59), Juillet-septembre 1972, p. 223-226. Cf. https://www.persee.fr.

Surtout on se reportera à Jean-Yves Guillaumin, L’encyclopédisme de Martianus Capella : héritage d’une forme traditionnelle ou nouveauté radicale ?, Schedae, 2007, Prépublication n° 4, Fascicule n° 1, p. 45-67.

2 Un classique que je n’ai pu trouver : Philippe Verdier, « L’iconographie des arts libéraux dans l’art du Moyen Âge jusqu’à la fin du quinzième siècle », Arts libéraux et philosophie au moyenâge, Montréal, Institut des études médiévales, 1969, p. 305-354. Et qui recoupe peut-être mon exposé.

3 Les datations ne sont pas assez bien établies pour présenter les œuvres sculptées dans un ordre chronologique strict.

4 Grammairien africain (carthaginois) du Ve siècle, à qui l’on doit cette œuvre didactique. Il reste dans les différentes bibliothèques de par le Monde environ 240 manuscrits en latin de cette œuvre, ce qui permet de saisir l’engouement qu’elle a suscité, depuis la période carolingienne jusqu’à la fin du XVIe siècle où elle fut imprimée.

5 Philologie, littéralement « qui aime le Logos », a un sens qui n’est plus celui du langage actuel (science des textes). Elle a été nommée dans le contexte des arts libéraux, selon les auteurs ou selon les textes (anciens ou contemporains) par Philosophie ou encore Sagesse voire même Théologie. Pour ces raisons je ne traduirai pas « philologia » par la suite sauf quand le nom est imposé par un écrit associé à sa représentation.

6 On peut regarder un manuscrit de cette œuvre sur gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France. Département des Manuscrits. Latin 8671.

On se reportera au compte rendu de Michel Dubuisson : James Willis, « Martianus Capella. De Nuptiis Mercurii et Philologiae », L’antiquité classique, Tome 57, 1988, p. 430-431.

Il existe depuis 2007 des éditions bilingues (latin – français) des livres I (2014), IV (2007), VI (2007), IX (2011), Paris, Les belles lettres, Collection des Universités de France.

7 Pour les noms des allégories des arts libéraux j’utiliserai une majuscule et supprimerai l’article. Puisque qu’il n’y a pas d’ambigüité sur les traductions (grammatica = grammaire, etc.), j’utiliserai le nom en français. Ce qui n’est pas le cas pour Philologia

8 Instrument portatif du type cadran solaire, possédant une tige et un écran sur lequel se projette l’ombre du soleil ou de la lune et qui permet de mesurer la hauteur au-dessus de l’horizon de ces corps célestes. Par « signe » il faut entendre « trace ».

9 Grégoire de Tours, 539-594, évêque de Tours, historien. Le passage proposé est extrait de : Grégoire de Tours, Histoire des Francs, livre X. Traduit du Latin par Robert Latouche, Les Belles Lettres, Paris, 1963.

10 Alain de Lille, vers 1120-1202. C’est dans son ouvrage Anticlaudianus qu’il fait cette description.

11 Donat, Ælius Donatus, grammairien latin, vers 320-380, est l’auteur d’un traité de grammaire.

12 Aristarque, Aristarque de Samothrace, grammairien grec (IIe siècle av. J.-C.).

13 Pierre Lombard, vers 1100-1160, théologien scolastique, considéré comme le premier docteur de l’Université de Paris. Auteur du Liber Sententiarum, le livre de théologie de base de la fin du Moyen Âge.

14 Éliane Vergnolle, L’art roman en France, Paris, 1994, fig. 22, p. 31.

15 Herrade de Landsberg, vers 1130-1195, abbesse du monastère de Sainte-Odile en Alsace. Le manuscrit originel de l’Hortus Deliciarum est détruit, mais a été copié plusieurs fois au XIXe siècle. La planche 8 en haute définition nous a été aimablement transmise par la Bibliothèque Alsatique du Crédit Mutuel, Strasbourg (propriétaire de cette version).

16 Curé de Déols (vers1830-vers1860). Abbé Dubouchat, Antiquités déoloises. Références précisées par P. Duret : Manuscrit des Archives de l’Indre, f517.

17 Patricia Duret, La sculpture romane de l’abbaye de Déols, 1987, chez l’auteur, fig. 78, p. 151.

18 Jean Hubert, « L’abbatiale de Notre-Dame de Déols », Bulletin Monumental, tome 86, 1927, p. 49-52.

20 Mâle Émile, L’art religieux du XIIIe siècle, Paris, 1899, p. 97-117.

21 Louis Réau, Iconographie de l’art chrétien, Paris, 1955, T1, p. 154-162.

22 Voir Jean-Yves Guillaumin (note 1).

23 Férule : étymologiquement : faisceau de branches, mais aussi « Petite palette de bois ou de cuir, à l’extrémité plate et élargie, autrefois utilisée comme instrument de discipline pour frapper les mains des écoliers fautifs ». Définition du Centre national de ressources textuelles et lexicographiques (https://www.cnrtl.fr/).

24Aristote, philosophe de l’Antiquité grecque, disciple de Platon, 384 av. J.-C- 322 av. J.-C.

25 Cicéron, homme d’État romain, avocat et écrivain latin106 av. J.C.– 43 av. J.C.

26 Donat, grammairien latin, vers 380 av. J.C. – vers 320 av. J.C., cf. note 10.

27 Boèce, philosophe et homme politique latin. Contemporain de Cassiodore, vers 480-524. A publié entre autre un traité De arithmetica. C’est pour cela qu’il est associé à Arithmétique.

28 Pythagore, réformateur religieux et philosophe présocratique, mathématicien et scientifique selon une tradition tardive, vers 580 av. J.-C.-vers 495 av. J.-C.

29 Ptolémée, astronome et astrologue grec qui vécut à Alexandrie, précurseur de la géographie. Vers 100 – 168.

30 Euclide, mathématicien de la Grèce antique, auteur d’éléments de mathématiques, textes fondateurs de cette discipline en Occident. Période de vie inconnue.

31 G. Fleury, op. cit.

32 Fabienne Joubert, La sculpture gothique en France, 2008, p. 92-93.

33 Se reporter au site de l’Institut de recherche et d’histoire des textes : Auteurs chartrains | A la recherche des manuscrits de Chartres (manuscrits-de-chartres.fr)

34 Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle. Article « Arts (libéraux) », Paris, 1864-1868, T. 1.

35 Émile Mâle, « Les arts libéraux dans la statuaire du moyen âge », Revue archéologique, T. 17, 1981, p. 334-346. D’après Mâle il s’agit de Philosophie et non de Théologie (malgré la tête dans les nuages). Cette personnification étant due à Boèce dans sa Consolation philosophique : l’échelle correspondrait aux degrés qui permettent d’accéder de la philosophie pratique (π) à la philosophie « spéculative » (θ) comme indiqué dans le texte. Les lettres grecques ont été reproduites à Sens.

36 Fabienne Joubert, op. cit., p. 157, fig. 120.

37 Les allégories de ces deux autres sciences font aussi partie du cortège décrit par Martianus, mais ne prennent pas la parole pour évoquer leurs particularités car elles représentent des sciences « terrestres ». Émile Mâle, op. cit.

38 Jacques Henriet, « La cathédrale Saint-Etienne de Sens : le parti du premier Maître et les campagnes du XIIe siècle », Bulletin Monumental, tome 140, n°2, année 1982, p. 81-174.

39 Viollet-le-Duc, op. cit.

40 Voir Laon pour les références concernant Philosophie.

41 Daniel Minard, La Cathédrale d’Autun et ses mystères, 2012, p. 70-71.

42 Isabelle Marchesin, Chapiteaux du cloître Saint-Nazaire d’Autun, Musée Rolin, notice.

43 C’est du moins ce qui ressort d’un article en anglais dont une partie se retrouve sur le web (la pièce de tissu est appelée alors « garter ») dont ni le nom de l’auteur ni le titre général n’apparaissent, http://green-man-of-cercles.org/articles/garters_extract_march.pdf.

44 Comme mentionné à propos de Chartres, je m’en tiens aux noms des « savants » les plus usités, quand ils ne sont pas explicitement mentionnés.

45 Christian Sapin, Sylvain Aumard, Stéphane Büttner et Heike Hansen, « Auxerre (Yonne), la cathédrale Saint-Étienne »Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, 10, 2006.

On remarquera que la notice de Wikipedia place (à tort) au transept sud les sculptures que j’ai commentées. De plus elle situe un autre ensemble se rapportant aux arts libéraux à la façade ouest !

46 Ulrich Knop de Oppeln, Histoire de la restauration du chœur de la cathédrale Saint-Étienne d’Auxerre, Thèse de doctorat (Dr.-Ing.) homologuée par la Faculté 1, Architecture et Urbanisme de l’Université de Stuttgart.

47 Denise Borlée, « L’église priorale et paroissiale Notre-Dame de Semur-en-Auxois », La sculpture figurée du XIIe siècle en Bourgogne, Presses universitaires de Strasbourg, 2012, en ligne (2020).

Fabienne Joubert, op. cit. p. 206, pl. XXVIII-XXIX et p. 199-202 sur la polychromie des sculptures gothiques.

48

49 Étude la plus complète : Sébastien Biay, Les chapiteaux de la troisième église abbatiale de Cluny (fin XIe-début XIIe siècle) : étude iconographique. Thèse de doctorat en histoire de l’art médiéval sous la direction de Claude Andrault-Schmitt, 2011.‌ HAL Id: tel-00671485, https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00671485.

50 Devant la complexité de la situation de la datation et de l’iconographie du rond-point de Cluny, je propose deux autres ouvrages qui élargissent l’incertitude (!) :

Arnaud Montoux, « Deus in omnia currit. Chapiteaux et processions à Cluny III à la lumière du Periphyseon de l’Érigène ». Une prise en compte du Cosmos dans l’iconographie théologique à Cluny, Institut Catholique de Paris, « Transversalités », 2015/4 n° 135, p. 105-118, https://www.cairn.info/revue-transversalites-2015-4-p. 105.

Dominique Bonnet Saint-Gorges, Proposition de lecture des chapiteaux de Cluny 3. Le printemps (il s’agit du C4), La tribune de l’art, 2016. https ://www.latribunedelart.com/proposition-de-lecture-des-chapiteaux de-cluny.

51 Médiathèque du Patrimoine. Lieu de conservation : Saint-Cyr, cote 1996/089.

52 Priscien (de Césarée, car il y a plusieurs Priscien), est un grammairien latin du VIe siècle.

53Tubal, (en fait Tubal-Cain) personnage biblique, mentionné uniquement en Genèse 4,22. Il est présenté comme le fils de Lamek et de sa seconde épouse Cilla, donc le petit-fils de Caïn. Le nom vient de l’union de celui de Tubal avec Caïn. Tubal-Caïn serait « l’ancêtre de tous les forgerons en cuivre et en fer »

54 Charles Cahier (1807-1882). Nouveaux mélanges d’archéologie, d’histoire et de littérature sur le Moyen Âge, Paris1874. Dessins d’Arthur Martin. « IV Sciences humaines » (en fait : arts libéraux) p. 285-298, dessins d’après les peintures de la cathédrale du Puy-en-Velay.

55 Masson André. « Les arts libéraux du Puy et la décoration des bibliothèques à la fin du Moyen Âge ». Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 102ᵉ année, N. 2, 1958, p. 150-170.

56 http://www.rollins.edu/academics/liberalarts.

57 Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné…, article « Arts libéraux ». Les remarques entre crochets et en italique sont personnelles.

58 Inventaire général des Hauts de France, « vitraux de la cathédrale de Soissons ».

59 Pignon sud de transept, Cathédrale de Lausanne. Publié par : État de Vaud, département des travaux publics, de l’aménagement et des transports, service des bâtiments.

60 Pascale Charron, Les Arts libéraux dans la tapisserie à la fin du Moyen Âge : entre iconographie savante et pratiques d’atelierhttps://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00948535, 2014.